LES SAINTS ANGES GARDIENS

 

2 octobre

 

C'est une vérité de foi que les anges, tout bienheureux qu'ils sont, reçoivent une mission de Dieu auprès des hommes ; les paroles de Notre-Seigneur, l'enseignement des Docteurs et des saints, l'autorité de l'Église, ne nous permettent pas d'en douter. Si les démons, en légions innombrables, rôdent autour de nous comme des lions prêts à nous dévorer, selon la parole de saint Pierre, il est consolant pour nous de songer que Dieu nous a donné des défenseurs plus nombreux et plus puissants que les démons.

C'est au plus tard dès sa naissance que tout homme venant au monde est confié à la garde d'un esprit céleste ; les païens, les hérétiques, les pécheurs eux-mêmes, ne sont pas privés de ce bienfait de Dieu. Il est même certain que divers personnages, en raison de leur situation, comme les rois, les pontifes, ou en raison des vues spéciales de Dieu sur eux, comme nombre de saints, ont parfois plusieurs anges gardiens. Il semble indubitable que non seulement les individus, mais les sociétés et les institutions, sont confiées aussi spécialement à la garde des anges ; l'Église, les royaumes, les provinces, les diocèses, les paroisses, les familles, les ordres religieux, les communautés, ont leurs angéliques protecteurs.

Les anges nous préservent d'une foule de maux et de dangers, ils éloignent de nous les occasions du péché ; ils nous inspirent de saintes pensées et nous portent à la vertu, nous soutiennent dans les tentations, nous fortifient dans nos faiblesses, nous animent dans nos découragements, nous consolent dans nos afflictions. Ils combattent avec nous contre le démon et nous prémunissent contre ses pièges ; si nous tombons, par fragilité ou par malice, ils nous relèvent par le remords, par les pensées de la foi, par la crainte des jugements de Dieu, et nous procurent divers moyens de conversion : ils portent nos bonnes œuvres et nos prières à Dieu, réparent nos fautes, intercèdent pour nous auprès de la divine miséricorde, suspendent la vengeance céleste au-dessus de nos têtes ; enfin ils nous éclairent et nous soutiennent dans la maladie et à l'heure de la mort, nous assistent au jugement de Dieu, visitent les âmes du purgatoire. 

Saint Bernard résume nos devoirs en trois mots : « Quel respect, quel amour, quelle confiance de notre part ne méritent pas les anges ! Respect pour leur présence, amour à cause de leur bienveillance, confiance en leur protection. » Ajoutons un quatrième devoir, la docilité à leurs bonnes inspirations.

Dom Prosper Guéranger 

   Bien que la solennité du 29 septembre ait pour but d'honorer tous les bienheureux esprits des neuf chœurs, la piété des fidèles s'est portée dans les derniers siècles à désirer qu'un jour spécial fût consacré par la terre à célébrer les Anges gardiens. Différentes Églises ayant pris l'initiative de cette fête, qu'elles plaçaient sous divers rites à diverses dates de l'année, Paul V (1608), tout en l'autorisant, crut devoir la laisser facultative; Clément X (1670) mit fin à cette variété au sujet de la fête nouvelle, en la fixant obligatoirement du rite double (double majeur depuis 1883) au 2 octobre, premier jour libre après la Saint-Michel, dont elle demeure ainsi comme une dépendance.
   Il est de foi qu'en cet exil, Dieu confie aux Anges la garde des hommes appelés à le contempler ainsi qu'eux-mêmes dans la commune patrie; c'est le témoignage des Écritures, l'affirmation unanime de la Tradition. Les conclusions les plus assurées de la théologie catholique étendent le bénéfice de cette protection précieuse à tous les membres de la race humaine, sans distinction de justes ou de pécheurs, d'infidèles ou de baptisés. Écarter les dangers, soutenir l'homme dans sa lutte contre le démon, faire naître en lui de saintes pensées, le détourner du mal et parfois le châtier, prier pour lui et présenter à Dieu ses propres prières: tel est le rôle de l'Ange gardien. Mission à ce point spéciale, que le même Ange ne cumule pas la garde simultanée de plusieurs; à ce point assidue, qu'il suit son protégé du premier jour au dernier de sa mortelle existence, recueillant l'âme au sortir de cette vie pour la conduire, des pieds du juge suprême, à la place méritée par elle dans les cieux ou au séjour temporaire de purification et d'expiation.
   C'est dans le voisinage plus immédiat de notre nature, parmi les rangs pressés du dernier des neuf chœurs, que se recrute surtout la milice sainte des Anges gardiens. Dieu, en effet, réserve les Séraphins, les Chérubins, les Trônes, à l'honneur de former son auguste cour. Les Dominations président des abords de son trône au gouvernement de l'univers; les Vertus veillent à la fixité des lois de la nature, à la conservation des espèces, aux mouvements des cieux; les Puissances retiennent enchaîné l'enfer. La race humaine, dans son ensemble et ses grands corps sociaux, les nations, les églises, est confiée aux Principautés; tandis que le rôle des Archanges, préposés aux communautés moindres, semble être aussi de transmettre aux Anges les ordres du ciel, avec l'amour et la lumière descendant pour nous de la première et suprême hiérarchie. Profondeurs de la Sagesse de Dieu (Rom. XI, 33)! Ainsi donc l'admirable ensemble de ministères ordonné entre les différents chœurs des esprits célestes aboutit, comme fin, à cette garde immédiatement remise aux plus humbles, la garde de l'homme, pour qui subsiste l'univers. C'est l'affirmation de l'École (Suarez. De Angelis, Lib. VI, c. XVIII, 5); c'est le mot de l'Apôtre: Tout esprit n'a-t-il pas pour mission de servir les futurs héritiers du salut (Heb. I, 14)?
   Mais Dieu, tout magnifique qu'il daigne se montrer pour l'humanité entière, ne sait pas moins que les gouvernements de ce monde honorer d'une garde spéciale les princes de son peuple, privilégiés de sa grâce, ou régissant pour lui la terre; au témoignage des Saints, une perfection suréminente, une mission plus haute dans l'État ou l'Église, assurent à qui en est revêtu l'assistance d'un esprit également supérieur, sans que l'Ange de la première heure, si l'on peut ainsi parler, soit nécessairement pour cela relevé de sa propre garde. Il s'en faut d'ailleurs que, sur le terrain des opérations du salut, le titulaire céleste du poste à lui confié dès l'aube puisse redouter jamais de se voir isolé; à sa demande, à l'ordre d'en haut, les troupes de ses bienheureux compagnons, qui remplissent la terre et les cieux, sont toujours prêtes à lui prêter main forte. Il est pour ces nobles esprits, sous l'œil du Dieu dont ils aspirent par tous moyens à seconder l'amour, de secrètes alliances amenant parfois sur terre entre leurs clients mêmes des rapprochements dont le mystère se révélera au jour de l'éternité.
   « Mystère profond, dit Origène, que le partage des âmes entre les Anges destinés à leur garde; divin secret, relevant de l'économie universelle qui repose sur l'Homme-Dieu! Ce n'est point non plus sans d'ineffables dispositions que se répartissent entre les Vertus des cieux les services de la terre, les départements multiples de la nature: fontaines et fleuves, vents et forêts, plantes, êtres animés des continents ou des mers, dont les rôles s'harmonisent par le fait des Anges dirigeant au but commun leurs offices variés (Origen. in Josue, Hom. XXIII). «Telle subsiste, en sa puissante unité, l'œuvre du Créateur. »
   Et sur ces mots de Jérémie: Jusques à quand pleurera la terre (Jerem. XII, 4)? Origène reprend, soutenu de l'autorité de saint Jérôme, son traducteur en la circonstance (Origen. in Jerem. Hom. X, juxta Hieron VIII): « C'est par chacun de nous que la terre se réjouit ou qu'elle pleure; et non seulement la terre, mais l'eau, le feu, l'air, tous les éléments, qu'il ne faut point entendre ici de la matière insensible, mais des Anges préposés à toutes choses sur terre. Il y a un Ange de la terre, et c'est lui, avec ses compagnons, qui pleure de nos crimes. Il y a un Ange des eaux, à qui s'applique le Psaume: Les eaux vous ont vu, et elles ont été dans la crainte; le trouble a saisi les abîmes; voix des grandes eaux, voix de l'orage: l'éclair comme la flèche a sillonné la nue (Psalm. LXXVI, 17-18). »
Ainsi considérée, la nature est grande. Moins dépourvue que nos générations sans vérité comme sans poésie, l'antiquité ne voyait pas autrement l'univers. Son erreur fut d'adorer ces puissances mystérieuses, au détriment du seul Dieu sous lequel fléchissent ceux qui portent le monde (Job. IX, 13).
   « Air, terre, océan, tout est plein d'Anges, dit saint Ambroise à son tour (Ambr. in Psalm. CXVIII, Sermo I, 9, 11, 12). Assiégé par une armée, Élisée demeurait sans crainte; car il voyait d'invisibles cohortes qui l'assistaient. Puisse le Prophète ouvrir aussi tes yeux; et que l'ennemi, fût-il légion, ne t'effraie pas: tu te crois investi, et tu es libre; il y en a moins contre nous que pour nous (IV Reg. VI, 16) ».
   Revenons à l'Ange particulièrement détaché près de nous tous, et méditons cet autre témoignage: « Il ne dort pas, on ne le trompe pas, le noble gardien de chacun d'entre nous. Ferme ta porte, et fais la nuit; mais souviens-toi que tu n'es jamais seul: lui, pour voir tes actions, n'a pas besoin de lumière. » Qui parle ainsi? non quelque Père de l'Église, mais un païen, l'esclave philosophe Épictète (Ap. Arrian.  Diss.  I, 14).
   De préférence toutefois et pour finir, écoutons aujourd'hui comme fait l'Église l'Abbé de Clairvaux, dont l'éloquence se donne ici carrière: « En tous lieux, sois respectueux de ton Ange. Que la reconnaissance pour ses bienfaits excite ton culte pour sa grandeur. Aime ce futur cohéritier, tuteur présentement désigné par le Père à ton enfance. Car bien que fils de Dieu, nous ne sommes pour l'heure que des enfants, et longue et périlleuse est la route. Mais Dieu a commandé à ses Anges de te garder en toutes tes voies; ils te porteront dans leurs mains, dans la crainte que tu ne heurtes ton pied contre la pierre; tu marcheras sur l'aspic et le basilic, et tu fouleras aux pieds le lion et le dragon (Psalm. XC, 11 -13). Oui donc; là où la route est praticable pour un enfant, ils borneront leur concours à te guider, à te soutenir comme on fait les enfants. L'épreuve menacera-t-elle de dépasser tes forces? ils te porteront dans leurs mains. Ces mains des Anges! combien d'impasses redoutées, franchies grâce à elles comme sans y penser, et ne laissant à l'homme par-delà que l'impression d'un cauchemar soudainement évanoui (S. Bernard, in Psalm. XC, Sermo XIII »
   Mais où l'Ange triomphe, c'est dans la rencontre chantée au Cantique sacré. « Lui, l'un des compagnons de l'Époux, dit saint Bernard, envoyé pour cela des cieux à l'élue, négociateur, témoin du mystère accompli, comme il tressaille, et dit: Je vous rends grâces, Dieu de majesté, qui avez exaucé le désir de son cœur! Or, c'était lui qui, sur la route, ami persévérant, ne cessait de murmurer à l'oreille de l'âme: Mets tes délices dans le Seigneur, et il t'exaucera (Palm. XXXVI, Palm. XLI, 2); et de nouveau: Attends le Seigneur, et garde ses sentiers (Ibid 34); puis, encore: S'il tarde, attends toujours, car il viendra sûrement et bientôt (Habac. II, 3). Cependant qu'il remontrait au Seigneur: Comme le cerf aspire à l'eau des fontaines, ainsi cette âme aspire après vous, ô Dieu (Psalm. XLI, 2.)! soyez-lui pitoyable, écoutez ses cris, visitez sa désolation. Et maintenant, paranymphe fidèle, confident d'ineffables secrets, il n'est point jaloux. Il va du bien-aimé à la bien-aimée, offrant les vœux, rapportant les dons; il excite l'une, il apaise l'autre; dès ce monde parfois il les met en présence, soit qu'il ravisse l’Épouse, soit qu'il amène l'Époux: car il est de la maison et connu dans le palais; il ne redoute point de rebut, lui qui voit tous les jours la face du Père (Bernard, in Cantic. Sermo XXXI). »

 

HOMÉLIE DE SAINT BERNARD SUR LE PSAUME 90

Il donne mission à ses anges de le garder sur tous tes chemins. Qu'ils rendent grâce au Seigneur de son amour, de ses merveilles pour les hommes. Qu'ils confessent et disent parmi les nations les merveilles que le Seigneur fit pour eux ! Seigneur, qu'est-ce que l'homme, que tu te sois fait connaître à lui, que tu lui ouvres ton cœur ? Tu lui ouvres ton cœur, tu le traites avec sollicitude, tu prends soin de lui. Pour finir, tu lui destines ton Fils unique, tu envoies en lui ton Esprit, et même tu lui promets de voir ton visage. Mais, pour qu'aucun être du ciel ne reste hors de cette sollicitude pour nous, tu envoies ces esprits bienheureux pour qu'ils remplissent un service à notre égard, tu les charges de veiller sur nous, tu leur commandes de se faire nos pédagogues. ~

Il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. Quel n'est pas le respect que cette parole doit susciter en toi, la ferveur qu'elle doit faire naître, la confiance qu'elle doit inspirer ! Le respect à cause de leur présence, la ferveur à cause de leur bienveillance, la confiance à cause de leur vigilance. ~ Ils sont donc là, à tes côtés, non seulement avec toi mais pour toi. Ils sont présents pour te protéger, pour te secourir. ~ Et même si c'est Dieu qui leur en a donné l'ordre, on ne peut pour autant manquer de reconnaissance à leur égard, en raison de la si grande charité avec laquelle ils obéissent et du besoin si grand que nous avons de leur aide.

Soyons donc pleins de respect et de reconnaissance pour une telle vigilance de leur part ; aimons-les en retour et honorons-les autant que nous le pouvons, autant que nous le devons. Mais c'est à Dieu qu'il nous faut rapporter la totalité de notre amour et de notre honneur, à Dieu de qui les anges, aussi bien que nous, reçoivent toute la capacité de l'honorer et de l'aimer, non moins que la possibilité de se rendre dignes de son amour et de son honneur. ~ Aussi est-ce en Dieu, mes frères, qu'avec affection il nous faut aimer ses anges, dans la conscience qu'ils seront un jour nos cohéritiers, et que d'ici là le Père dispose et ordonne qu'ils soient pour nous des intendants et des éducateurs. Car dès maintenant nous sommes fils de Dieu, bien que cela ne soit pas encore évident, puisque nous sommes encore des enfants soumis à des intendants et à des éducateurs, et qui semblent pour le moment ne différer en rien des esclaves.

Pourtant, si petits que nous soyons, et si longue - et pas seulement longue mais dangereuse - que soit la route qui nous reste à parcourir, qu'aurions-nous à craindre sous une si bonne garde ? On ne peut ni les vaincre ni les égarer, et moins encore redouter qu'ils ne nous égarent, eux qui nous gardent sur tous nos chemins. Ils sont fidèles, ils sont sages, ils sont puissants : qu'aurions-nous à craindre ? Suivons-les seulement, attachons-nous à eux, et demeurons sous la sauvegarde du Dieu du ciel.