SAINT CYRILLE DE JÉRUSALEM - ÉVÊQUE ET DOCTEUR DE L’ÉGLISE

18 mars

   Il était juste qu'en ces jours consacrés à l'instruction des catéchumènes, la sainte Église honorât le Pontife dont le nom rappelle, mieux qu'aucun autre, le zèle et la science que doivent déployer les pasteurs dans la préparation de ses futurs membres au baptême. Longtemps cependant, la chrétienté latine borna ses hommages envers un si grand Docteur à la mention faite de lui, chaque année, en son martyrologe. Mais voici qu'à l'antique expression de sa reconnaissance pour des services rendus en des temps éloignés déjà de quinze siècles, se joint chez elle aujourd'hui, vis-à-vis de Cyrille, la demande d'une assistance rendue maintenant non moins nécessaire qu'aux premiers âges du christianisme Le baptême, il est vrai, se confère aujourd'hui dès l'enfance; il met l'homme, par la foi infuse, en possession de la pleine vérité avant que son intelligence ait pu rencontrer le mensonge. Mais trop souvent, de nos jours, l'enfant ne trouve plus près de lui la défense dont ne peut se passer sa faiblesse; la société moderne a renié Jésus-Christ, et son apostasie la pousse à étouffer, sous l'hypocrite neutralité de prétendues lois, le germe divin dans toute âme baptisée, avant qu'il ait pu fructifier et grandir. En face de la société comme dans l'individu, le baptême a ses droits cependant; et nous ne pouvons honorer mieux saint Cyrille, qu'en nous rappelant, au jour de sa fête, ces droits du premier Sacrement au point de vue de l'éducation qu'il réclame pour les baptisés. Durant quinze siècles les nations d'Occident, dont l'édifice social reposait sur la fermeté de la foi romaine, ont maintenu leurs membres dans l'heureuse ignorance de la difficulté qu'éprouve une âme pour s'élever des régions de l'erreur à la pure lumière. Baptisés comme nous à leur entrée dans la vie, et dès lors établis dans le vrai, nos pères avaient sur nous l'avantage de voir la puissance civile défendre en eux, d'accord avec l'Église, cette plénitude de la vérité qui formait leur plus grand trésor, en même temps qu'elle était la sauvegarde du monde. La protection des particuliers est en effet le devoir du prince ou de quiconque, à n'importe quel titre, gouverne les hommes, et la gravité de ce devoir est en raison de l'importance des intérêts à garantir; mais cette protection n'est-elle pas aussi d'autant plus glorieuse pour le pouvoir, qu'elle s'adresse aux faibles, aux petits de ce monde? Jamais la majesté de la loi humaine n'apparut mieux que sur les berceaux, où elle garde à l'enfant né d'hier, à l'orphelin sans défense, sa vie, son nom, son patrimoine. Or, l'enfant sorti de la fontaine sacrée possède des avantages qui dépassent tout ce que la noblesse et la fortune des ancêtres, unies à la plus riche nature, auraient pu lui donner. La vie divine réside en lui; son nom de chrétien le fait l'égal des anges; son patrimoine est cette plénitude de la vérité dont nous parlions tout à l'heure, c'est-à-dire Dieu même, possédé par la foi ici-bas, en attendant qu'il se découvre à son amour dans le bonheur de l'éternelle vision. 
   Quelle grandeur donc en ces berceaux où vagit la faiblesse de l'enfance! mais aussi quelle responsabilité pour le monde! Si Dieu n'attend point, pour conférer de tels biens à la terre, que ceux auxquels ils sont départis soient en âge de les comprendre, c'est l'impatience de son amour qui se manifeste en cette hâte sublime; mais c'est aussi qu'il compte sur le monde pour révéler au temps venu leur dignité à ces enfants des cieux, pour les former aux devoirs résultant de leur nom, pour les élever comme il convient à leur divin lignage. L'éducation d'un fils de roi répond à sa naissance; ceux qu'on admet à l'honneur de l'instruire, s'inspirent dans leurs leçons de son titre de prince; les connaissances communes à tous lui sont elles-mêmes présentées de la manière qui s'harmonise le mieux à sa destinée suréminente; rien pour lui qui ne tende au même but: tout doit, en effet, concourir à le mettre en état de porter sa couronne avec gloire. L'éducation d'un fils de Dieu mérite-t-elle moins d'égards; et peut-on davantage, dans les soins qu'on lui donne, mettre en oubli sa destinée et sa naissance?
   Il est vrai: l'Église seule est capable, ici-bas, de nous expliquer l'ineffable origine des fils de Dieu; seule elle connaît sûrement la manière dont il convient de ramener les éléments des connaissances humaines au but suprême qui domine la vie du chrétien. Mais qu'en conclure, sinon que l'Église est de droit la première éducatrice des nations? Lorsqu'elle fonde des écoles, à tous les degrés de la science elle est dans son rôle, et la mission reçue d'elle pour enseigner vaut mieux que tous les diplômes. Bien plus; s'il s'agit de diplômes qu'elle n'ait pas délivrés elle-même, l'usage de ces pièces civilement officielles tire sa première et principale légitimité, à l'égard des chrétiens, de son assentiment: il demeure soumis toujours, et de plein droit, à sa surveillance. Car elle est mère des baptisés; et la surveillance de l'éducation des enfants reste à la mère, quand elle ne fait pas cette éducation par elle-même.
   Au droit maternel de l'Église, se joint ici son devoir d'Épouse du Fils de Dieu et de gardienne des sacrements. Le sang divin ne peut, sans crime, couler inutilement sur la terre; des sept sources par lesquelles l'Homme-Dieu a voulu qu'il s'épanchât à la parole des ministres de son Église, il n'en est pas une qui doive s'ouvrir autrement qu'avec l'espoir fondé d'un effet véritablement salutaire, et répondant au but du sacrement dont il est fait usage. Le saint baptême surtout, qui élève l'homme des profondeurs de son néant à la noblesse surnaturelle, ne saurait échapper, dans son administration, aux règles d'une prudence d'autant plus vigilante que le titre divin qu'il confère est éternel. Le baptisé, ignorant volontaire ou forcé de ses devoirs et de ses droits, ressemblerait à ces fils de famille qui par leur faute ou non, ne connaissant rien des traditions de la race d'où ils sortent, en sont l'opprobre, et promènent inutilement par le monde leur vie déclassée. Aussi, pas plus maintenant qu'au temps de Cyrille de Jérusalem, l'Église ne peut admettre, elle n'a jamais admis personne à la fontaine sacrée, sans exiger dans le candidat au baptême la garantie d'une instruction suffisante: s'il est adulte, il doit tout d'abord faire par lui-même preuve de sa science; si l'âge lui lait défaut et que l'Église néanmoins consente à l'introduire dans la famille chrétienne, c'est qu'en raison du christianisme de ceux-là même qui le présentent et de l'état social qui l'entoure, elle se tient assurée pour lui d'une éducation conforme à la vie surnaturelle devenue sienne au sacrement.
   Ainsi a-t-il fallu l'affermissement incontesté de l'empire de l'Homme-Dieu sur le monde, pour que la pratique du baptême des enfants soit devenue générale comme elle l'est aujourd'hui; et nous ne devons pas nous étonner si l'Église, à mesure que s'achevait la conversion des peuples, s'est trouvée seule investie de la tâche d'élever les générations nouvelles. Les cours stériles des grammairiens, des philosophes et des rhéteurs, auxquels ne manquait que la seule connaissance nécessaire, celle du but de la vie, furent désertés pour les écoles épiscopales et monastiques où la science du salut, primant toutes les autres, éclairait en même temps chacune d'elles de la vraie lumière. La science baptisée donna naissance aux universités, qui réunirent dans une féconde harmonie tout l'ensemble des connaissances humaines, jusque-là sans lien commun et trop souvent opposées l'une à l'autre. Inconnues au monde avant le christianisme, qui seul portait en lui la solution de ce grand problème de l'union des sciences, les universités, dont cette union fait l'essence même, demeurent pour cette raison l'inaliénable domaine de l'Église. Vainement, en nos jours, l'État, redevenu païen, prétend dénier à la mère des peuples et s'attribuer à lui-même le droit d'appeler d'un pareil nom ses écoles supérieures; les nations déchristianisées, qu'elles le veuillent ou non, seront toujours sans droit pour fonder, sans force pour maintenir en elles ces institutions glorieuses, dans le vrai sens du nom qu'elles ont porté et réalisé dans l'histoire. L'État sans foi ne maintiendra jamais dans la science d'autre unité que l'unité de Babel; et, ne pouvons-nous pas déjà le constater avec évidence? le monument d'orgueil qu'il veut élever à l’encontre de Dieu et de son Église, ne servira qu'à ramener l'effroyable confusion des langues à laquelle l'Église avait arraché ces nations païennes dont il reprend les errements. Quant à se parer des titres de la victime qu'on a dépouillée, tout spoliateur et tout larron peut en faire autant; mais l'impuissance où il se trouve de faire montre, en même temps, des qualités que ces titres supposent, ne fait que manifester d'autant mieux le vol commis au détriment du légitime propriétaire.
   Dénions-nous donc à l'État païen, ou neutre, comme on dit aujourd'hui, le droit d'élever à sa manière les infidèles qu'il a produits à son image? Nullement; la protection qui est le droit et le devoir de l'Église, ne regarde que les baptisés. Et même, n'en doutons pas: si l'Église doit être amenée à constater un jour que toute garantie du coté de la société fait désormais vraiment défaut au saint baptême, elle reviendra à la discipline de ce premier âge, où la grâce du sacrement qui fait les chrétiens n'était point accordée comme aujourd'hui indistinctement à tous, mais seulement aux adultes qui s'en montraient dignes, ou aux enfants dont les familles présentaient les assurances nécessaires à sa responsabilité de Mère et d'Épouse. Les nations alors se retrouveront divisées en deux parts: d'un côté les enfants de Dieu, vivant de sa vie, héritiers de son trône; de l'autre, les hommes qui, conviés comme tout fils d'Adam à cette noblesse surnaturelle, auront préféré criminellement rester les esclaves de celui qui les voulait pour fils en ce monde dont l'Incarnation a fait son palais. L'éducation commune et neutre apparaîtra alors plus impossible que jamais: si neutre qu'on la suppose, l'école des valets du palais ne saurait convenir aux princes héritiers.
   Sommes-nous proche de ces temps où les hommes que le malheur de la naissance aura exclus du baptême à leur entrée dans la vie, devront conquérir par eux-mêmes le privilège de l'admission dans la famille chrétienne? Dieu seul le sait; mais plus d'un indice porterait à le croire; l'institution de la fête de ce jour peut n'être pas sans lien, dans le dessein de la Providence, avec les exigences d'une situation nouvelle qui serait faite à l'Église sous ce rapport. Une semaine ne s'est pas écoulée depuis les hommages que nous avons rendus à saint Grégoire le Grand, le Docteur du peuple chrétien; trois jours plus tôt, c'était le Docteur de l’école, Thomas d'Aquin, dont la jeunesse chrétienne et studieuse fêtait le glorieux patronage: pourquoi aujourd'hui, après quinze cents ans écoulés, ce Docteur nouveau sur le Cycle, ce Docteur d'une classe disparue, les catéchumènes, sinon, comme nous le disions, parce que l'Église voit les services nouveaux que Cyrille de Jérusalem est appelé à rendre, avec l'exemple et l'enseignement contenus dans ses Catéchèses immortelles? Dès maintenant, combien de chrétiens égarés n'ont pas de plus grand obstacle à surmonter, dans leur retour à Dieu, qu'une ignorance désespérante, et plus profonde que celle-là même d'où le zèle de Cyrille savait retirer les païens et les Juifs!

   Le récit liturgique consacré à la mémoire du saint Docteur résume merveilleusement sa vie et ses ouvrages; il nous dispense de rien ajouter.

   Cyrille de Jérusalem s'adonna diligemment dès l'âge le plus tendre à l'étude des divines Écritures, et il fit tant de progrès dans leur connaissance, qu'il devint pour la foi orthodoxe un vaillant défenseur. Formé à la discipline monastique, il s'astreignit à la continence perpétuelle et au plus sévère genre de vie. Saint Maxime, Évêque de Jérusalem, l'ordonna prêtre et lui confia la charge de prêcher la parole de Dieu aux fidèles et d'instruire les catéchumènes; ce fut avec la plus grande gloire qu’il s'en acquitta et composa ces Catéchèses vraiment admirables, dans lesquelles, embrassant avec abondance et clarté toute la doctrine de l'Église, il établit solidement tous les dogmes de la religion contre les ennemis de la foi. Il y parle avec tant d'évidence et de précision, que non seulement les hérésies déjà nées, mais celles encore à venir y sont réfutées comme par une sorte de présage, par exemple dans son affirmation de la présence réelle du Corps et du Sang de Jésus-Christ au merveilleux sacrement de l'Eucharistie. Saint Maxime étant mort, il fut établi en sa place par les évêques de la province.
   Dans son épiscopat, non moins que saint Athanase, son contemporain, il subit pour la cause de la foi de nombreuses injustices et des persécutions de la part des Ariens. Souffrant impatiemment la véhémence de Cyrille contre l'hérésie, ils le poursuivirent de leurs calomnies, et, l'ayant déposé dans un conciliabule, le chassèrent de son siège. Pour se soustraire à leur fureur, il s'enfuit à Tarse de Cilicie et supporta la rigueur de l'exil tout le temps que vécut Constance. Après la mort de celui-ci, Julien l'Apostat étant devenu empereur, il put revenir à Jérusalem où il employa toute l'ardeur de son zèle à retirer son troupeau de l'erreur et du vice. Mais sous l'empire de Valens, il dut de nouveau prendre la route de l'exil, jusqu'à ce que Théodose le Grand eût rendu la paix à l'Église et réprimé la cruauté et l'audace des Ariens. Cet empereur reçut Cyrille avec de grands honneurs, comme le très courageux athlète du Christ, et le rendit à son siège. Avec quelle force et quelle sainteté il accomplit les devoirs de son sublime office, c'est ce qui ressort nettement de l'état prospère alors de l'Église de Jérusalem, tel que le décrit saint Basile qui, étant venu vénérer les saints lieux, y demeura quelque temps. 
   Dieu fit ressortir la sainteté du vénérable Pontife par des signes célestes dont la mémoire est venue jusqu'à nous. On compte parmi eux la merveilleuse apparition d'une croix plus brillante que les rayons du soleil, qui illustra les commencements de son épiscopat. Ce prodige eut les païens et les chrétiens pour témoins oculaires avec Cyrille lui-même, qui, en ayant rendu grâces à Dieu dans l'église, le raconta ensuite par lettre à l'empereur Constance. Non moins digne d'admiration est ce qui arriva aux Juifs, lorsque, par l’ordre impie de l'empereur Julien, ils voulurent relever le temple que Titus avait renversé. Car il se fit sentir un violent tremblement de terre, et, d'immenses tourbillons de flammes sortant de terre, le feu dévora tous les travaux, de telle sorte que les Juifs et Julien épouvantés durent renoncer à l'entreprise, selon que Cyrille l'avait prédit comme devant arriver infailliblement. Enfin, peu de temps avant sa mort, il assista au concile œcuménique de Constantinople, dans lequel fut condamnée l'hérésie de Macédonius et, de nouveau, celle des Ariens. De retour à Jérusalem, il mourut saintement presque septuagénaire, la trente-cinquième année de son épiscopat. Le Souverain Pontife Léon XIII a ordonné qu'on en célébrât l'Office et la Messe dans l'Église universelle.
   Vous avez été, ô Cyrille, un vrai fils de la lumière (Eph V, 8). La Sagesse de Dieu avait dès l'enfance conquis votre amour; elle vous établit comme le phare éclatant qui brille près du port, et sauve, en l'attirant au rivage, le malheureux ballotté dans la nuit de l'erreur. Au lieu même où s'étaient accomplis les mystères de la rédemption du monde, et dans ce IV° siècle si fécond en docteurs, l'Église vous confia la mission de préparer au baptême les heureux transfuges que la victoire récente du christianisme amenait à elle de tous les rangs de la société. Nourri ainsi que vous l'étiez des Écritures et des enseignements de la Mère commune, la parole s'échappait de vos lèvres, abondante et pure, comme de sa source; l'histoire nous apprend qu'empêché par les autres charges du saint ministère de consacrer vos soins exclusivement aux catéchumènes, vous dûtes improviser ces vingt-trois admirables discours, vos Catéchèses, où la science du salut se déroule avec une sûreté, une clarté, un ensemble inconnus jusque-là et, depuis lors, jamais surpassés. La science du salut, c'était pour vous, saint Pontife, la connaissance de Dieu et de son Fils Jésus-Christ, contenue dans le symbole de la sainte Église; la préparation au baptême, à la vie, à l'amour, c'était pour vous l'acquisition de cette science unique, seule nécessaire, profonde d'autant plus et gouvernant tout l'homme, non par l'impression d'une vaine sentimentalité, mais sous l'empire de la parole de Dieu reçue comme elle a droit de l'être, méditée jour et nuit, pénétrant assez l'âme pour l'établir à elle seule dans la plénitude de la vérité, la rectitude morale et la haine de l'erreur.
   Sûr ainsi de vos auditeurs, vous ne craigniez point de leur dévoiler les arguments et les abominations des sectes ennemies. Il est des temps, des circonstances dont l'appréciation reste aux chefs du troupeau, et où ils doivent passer par-dessus le dégoût qu'inspirent de telles expositions, pour dénoncer le danger et tenir leurs brebis en garde contre les scandales de l'esprit ou des mœurs. C'est pour cela, ô Cyrille, que vos invectives indignées poursuivaient le manichéisme au fond même de ses antres impurs; vous pressentiez en lui l'agent principal de ce mystère d'iniquité (II Thess. II, 7) qui poursuit sa marche ténébreuse et dissolvante à travers les siècles, jusqu'à ce qu'enfin le monde succombe par lui de pourriture et d'orgueil. Manès en nos temps règne au grand jour; les sociétés occultes qu'il a fondées sont devenues maîtresses. L'ombre des loges continue, il est vrai, de cacher aux profanes son symbolisme sacrilège et les dogmes qu'il apporta de Perse jadis; mais l'habileté du prince du monde achève de concentrer dans les mains de ce fidèle allié toutes les forces sociales. Dès maintenant, le pouvoir est à lui; et le premier, l'unique usage qu'il en fasse, est de poursuivre l'Église en haine du Christ. Voici qu'à cette heure il s'attaque à la fécondité de l'Épouse du Fils de Dieu, en lui déniant le droit d'enseigner qu'elle a reçu de son divin Chef; les enfants mêmes qu'elle a engendrés, qui déjà sont à elle par le droit du baptême, on prétend les lui arracher de vive force et l'empêcher de présider à leur éducation. Cyrille, vous qu'elle appelle à son secours en ces temps malheureux, ne faites pas défaut à sa confiance. Vous compreniez si pleinement les exigences du sacrement qui fait les chrétiens! Protégez le saint baptême en tant d'âmes innocentes où l'on veut l'étouffer. Soutenez, réveillez au besoin, la foi des parents chrétiens; qu'ils comprennent que si leur devoir est de couvrir leurs enfants de leur propre corps plutôt que de les laisser livrer aux bêtes, l'âme de ces chers enfants est plus précieuse encore. Déjà plusieurs, et c'est la grande consolation de l'Église en même temps que l'espoir de la société battue en brèche de toutes parts, plusieurs ont compris la conduite qui s'imposait à l’âme généreuse en de telles circonstances: s'inspirant de leur seule conscience, et forts de leur droit de pères de famille, ils subiront la violence de nos gouvernements de force brutale, plutôt que de céder d'un pas aux caprices d'une réglementation d'État païen aussi absurde qu'odieuse. Bénissez-les, ô Cyrille; augmentez leur nombre. Bénissez également, multipliez, soutenez, éclairez les fidèles qui se dévouent à la tâche d'instruire et de sauver les pauvres enfants que trahit le pouvoir; est-il une mission plus urgente que celle des catéchistes, en nos jours? En est-il qui puisse vous aller plus au cœur?
   La sainte Église nous rappelait, tout à l'heure, l'apparition de la Croix qui vînt marquer les débuts de votre épiscopat glorieux. Notre siècle incrédule a été, lui aussi, favorisé d'un prodige semblable, lorsque, à Migné, au diocèse d'Hilaire, votre contemporain et votre émule dans la lutte pour le Fils de Dieu, le signe du salut parut au ciel, resplendissant de lumière, à la vue de milliers de personnes. Mais l'apparition du 7 mai 351 annonçait le triomphe: ce triomphe que vous aviez prévu sans nul doute pour la sainte Croix, lorsque sous vos yeux, quelques années plus tôt, Hélène retrouvait le bois rédempteur; ce triomphe qu'en mourant vous laissiez affermi par le dernier accomplissement des prophéties sur le temple juif. L'apparition du 17 décembre 1826 n'aurait-elle, hélas! annoncé que défaites et ruines? Confiants dans votre secours si opportun, nous voulons espérer mieux, saint Pontife; nous nous souvenons que ce triomphe de la Croix dont vous fûtes le témoin heureux, a été le fruit des souffrances de l'Église, et que vous dûtes l'acheter pour votre part au prix de trois dépositions de votre siège et de vingt ans d'exil. La Croix, dont le Cycle sacré nous ramène les grands anniversaires, la Croix n'est point vaincue, mais grandement triomphante au contraire, dans le martyre de ses fidèles et leurs épreuves patiemment supportées; c'est victorieuse à jamais qu'elle apparaîtra sur les ruines du monde, au dernier jour.

Dom Prosper Guéranger

 

 

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 27 juin 2007

 

Saint Cyrille de Jérusalem

Chers frères et sœurs!

Notre attention se concentre aujourd'hui sur saint Cyrille de Jérusalem. Sa vie représente le mélange de deux dimensions:  d'une part, le soin pastoral et, de l'autre, la participation - malgré lui - aux controverses enflammées qui troublaient alors l'Eglise d'Orient. Né autour de 315 à Jérusalem, ou dans ses environs, Cyrille reçut une excellente formation littéraire; ce fut la base de sa culture ecclésiastique, centrée sur l'étude de la Bible. Ordonné prêtre par l'Evêque Maxime, lorsque celui-ci mourut ou fut déposé, en 348, il fut ordonné Evêque par Acacius, Archevêque métropolitain influent de Césarée de Palestine, philo-arien, qui était convaincu d'avoir trouvé en lui un allié. Il fut donc soupçonné d'avoir obtenu la nomination épiscopale grâce à des concessions à l'arianisme.

En réalité, Cyrille se heurta très vite à Acacius non seulement sur le terrain doctrinal, mais également sur le terrain juridictionnel, car Cyrille revendiquait l'autonomie de son siège par rapport à l'Eglise métropolitaine de Césarée. En vingt ans, Cyrille connut trois exils:  le premier en 357, à la suite d'une déposition de la part d'un Synode de Jérusalem, suivi en 360 par un deuxième exil voulu par Acacius et, enfin, par un troisième, le plus long - il dura onze ans - en 367, à l'initiative de l'empereur philo-arien Valente. Ce n'est qu'en 378, après la mort de l'empereur, que Cyrille put reprendre définitivement possession de son siège, en rétablissant l'unité et la paix entre les fidèles.

D'autres sources, également anciennes, appuient la thèse de son orthodoxie, mise en doute par plusieurs  sources de  l'époque.  Parmi celles-ci, la lettre synodale de 382, après le deuxième Concile œcuménique de Constantinople (381), auquel Cyrille avait participé en jouant un rôle important, est celle qui fait le plus autorité. Dans cette lettre, envoyée au Pontife romain, les Evêques orientaux reconnaissent officiellement l'orthodoxie la plus absolue de Cyrille, la légitimité de son ordination épiscopale et les mérites de son service pastoral, que la mort conclura en 387.

Nous conservons de lui vingt-quatre catéchèses célèbres, qu'il présenta en tant qu'Evêque vers 350. Introduites par une Procatéchèse d'accueil, les dix-huit premières sont adressées aux catéchumènes ou illuminands (photizomenoi); elles furent tenues dans la Basilique du Saint-Sépulcre. Les premières (1-5) traitent chacune, respectivement, des dispositions préalables au Baptême, de la conversion des coutumes païennes, du sacrement du Baptême, des dix vérités dogmatiques contenues dans le Credo ou Symbole de la foi. Les suivantes (6-18) constituent une "catéchèse continue" sur le Symbole de Jérusalem, dans une optique anti-arienne. Dans les cinq dernières (19-23), appelées "mystagogiques", les deux premières développent un commentaire aux rites du Baptême, les trois dernières portent sur le chrême, sur le Corps et le Sang du Christ et sur la liturgie eucharistique. On y trouve une explication du Notre Père (Oratio dominica):  celle-ci établit un chemin d'initiation à la prière, qui se développe parallèlement à l'initiation aux trois sacrements du Baptême, de la Confirmation et de l'Eucharistie.

La base de l'instruction sur la foi chrétienne se déroulait également dans un but polémique contre les païens, les judéo-chrétiens et les manichéens. L'argumentation était fondée sur la réalisation des promesses de l'Ancien Testament, dans un langage riche d'images. La catéchèse était un moment important, inséré dans le vaste contexte de toute la vie, en particulier liturgique, de la communauté chrétienne, dans le sein maternel de laquelle avait lieu la gestation du futur fidèle, accompagnée par la prière et le témoignage des frères. Dans leur ensemble, les homélies de Cyrille constituent une catéchèse systématique sur la renaissance du chrétien à travers le Baptême. Il dit au catéchumène:  "Tu es tombé dans les filets de l'Eglise (cf. Mt 13, 47). Laisse-toi donc prendre vivant; ne t'enfuis pas, car c'est Jésus qui te prend à son hameçon, non pour te donner la mort mais la résurrection après la mort. Tu dois en effet mourir et ressusciter (cf. Rm 6, 11.14). Meurs au péché, et vis pour la justice dès aujourd'hui" (Procatéchèse 5).

Du point de vue doctrinal, Cyrille commente le Symbole de Jérusalem en ayant recours à la typologie des Ecritures, dans un rapport "symphonique" entre les deux "Testaments", pour arriver au Christ, centre de l'univers. La typologie sera décrite de manière incisive par Augustin d'Hippone:  "L'Ancien Testament est le voile du Nouveau Testament, et dans le Nouveau Testament se manifeste l'Ancien" (De catechizandis rudibus, 4, 8). Quant à la catéchèse morale, elle est ancrée de manière profondément unie à la catéchèse doctrinale:  l'on fait progressivement descendre le dogme dans les âmes, qui sont ainsi sollicitées à transformer les comportements païens sur la base de la nouvelle vie en Christ, don du Baptême. Enfin, la catéchèse "mystagogique" marquait le sommet de l'instruction que Cyrille dispensait non plus aux catéchumènes, mais aux nouveaux baptisés ou néophytes au cours de la semaine pascale Celle-ci les introduisait à découvrir, sous les rites baptismaux de la Veillée pascale, les mystères qui y étaient contenus et qui n'étaient pas encore révélés. Illuminés par la lumière d'une foi plus profonde en vertu du Baptême, les néophytes étaient finalement en mesure de mieux les comprendre, ayant désormais célébré leurs rites.

Avec les néophytes d'origine grecque, Cyrille s'appuyait en particulier sur la faculté visuelle qui leur était particulièrement adaptée. C'était le passage du rite au mystère, qui valorisait l'effet psychologique de la surprise et l'expérience vécue au cours de la nuit pascale. Voici un texte qui explique le mystère du Baptême:  "A trois reprises vous avez été immergés dans l'eau et à chaque fois vous en êtes ressortis, pour symboliser les trois jours de la sépulture du Christ, c'est-à-dire imitant à travers ce rite notre Sauveur, qui passa trois jours et trois nuits dans le sein de la terre (cf. Mt 12, 40). Lors de la première émersion de l'eau, vous avez célébré le souvenir du premier jour passé par le Christ dans le sépulcre, de même qu'avec la première immersion vous en avez confessé la première nuit passée dans le sépulcre:  vous avez été vous aussi comme celui qui est dans la nuit et qui ne voit pas, et celui qui, en revanche, est au jour et jouit de la lumière. Alors qu'auparavant vous étiez plongés dans la nuit et ne pouviez rien voir, en émergeant, en revanche, vous vous êtes trouvés en plein jour. Mystère de la mort et de la naissance, cette eau du salut a été pour vous une tombe et une mère... Pour vous... le moment pour mourir coïncida avec le moment pour naître:  un seul et même moment a réalisé les deux événements" (Deuxième catéchèse mystagogique, 4).

Le mystère qu'il faut saisir est le dessein du Christ, qui se réalise à travers les actions salvifiques du Christ dans l'Eglise. A son tour, la dimension mystagogique s'accompagne de celle des symboles, qui expriment le vécu spirituel qu'ils font "exploser". Ainsi, la catéchèse de Cyrille, sur la base des trois composantes décrites - doctrinale, morale et, enfin mystagogique -, apparaît comme une catéchèse globale dans l'Esprit. La dimension mystagogique réalise la synthèse des deux premières, en les orientant vers la célébration sacramentelle, dans laquelle se réalise le salut de tout l'homme.

Il s'agit, en définitive, d'une catéchèse intégrale, qui - concernant le corps, l'âme et l'esprit - reste emblématique également pour la formation catéchétique des chrétiens d'aujourd'hui.

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