SAINT MAUR - ABBÉ

15 JANVIER

Saint Benoît ordonnant à saint Maur de venir au secours de
Saint Placide qui se noie dans le lac. Fra Filippo Lippi. XVe.

   En des plus grands maîtres de la vie cénobitique, le plus illustre des disciples du Patriarche des moines de l'Occident, saint Maur, partage avec l'ermite Paul les honneurs de cette journée. Comme lui, fidèle aux leçons de Bethléem, il est venu prendre place sur le Cycle, dans cette sainte période des quarante jours consacrés au divin Enfant. Il est là pour attester, à son tour, la puissance des abaissements du Christ. Car qui oserait douter de la force victorieuse de cette pauvreté, de cette obéissance de la crèche, en voyant les admirables résultats de ces vertus dans les cloîtres de la France?
   Notre patrie dut à saint Maur l'introduction dans son sein de cette Règle admirable qui produisit les grands saints et les grands hommes à qui notre patrie est redevable de la meilleure partie de sa gloire. Les enfants de saint Benoît par saint Maur luttèrent contre la barbarie franque, sous le règne de la première race de nos rois; sous la seconde, ils enseignèrent les lettres sacrées et profanes à un peuple dont ils avaient puissamment aidé la civilisation; sous la troisième, et jusque dans ces derniers temps où l'Ordre Monastique, asservi par la Commende, et décimé par les violences d'une politique perverse, expirait au milieu des plus pénibles angoisses, ils furent la providence des peuples par le charitable usage de leurs grandes propriétés, et l'honneur de la science par leurs immenses travaux sur l'antiquité ecclésiastique et sur l'histoire nationale.
   Le monastère de Glanfeuil communiqua sa législation à tous nos principaux centres d'influence monastique: Saint-Germain de Paris, Saint-Denis en France, Marmoutiers, Saint-Victor de Marseille, Luxeuil, Jumièges, Fleury, Corbie, Saint-Vannes, Moyen-Moutier, Saint-Wandrille, Saint-Vaast, la Chaise-Dieu, Tiron, Chezal-Benoît, le Bec, et mille autres Abbayes de France, se glorifièrent d'être filles du Mont-Cassin par le disciple chéri du grand Patriarche. Cluny, qui donna, entre autres, au Siège Apostolique, saint Grégoire VII et Urbain II, se reconnut redevable à saint Maur de la Règle qui fit sa gloire et sa puissance. Que l'on compte les Apôtres, les Martyrs, les Pontifes, les Docteurs, les Ascètes, les Vierges, qui s'abritèrent sous les cloîtres bénédictins de la France, pendant douze siècles; que l'on suppute les services rendus par les moines à notre patrie, dans l'ordre de la vie présente et dans l'ordre de la vie future, durant cette longue période: on aura alors quelque idée des résultats qu'opéra la mission de saint Maur, résultats dont la gloire revient tout entière au Sauveur des hommes, et aux mystères de son humilité, qui sont le principe de l'institution monastique. C'est donc glorifier l'Emmanuel que de reconnaître la fécondité de ses Saints, et de célébrer les merveilles qu'il a opérées par leur ministère.
   Nous lirons maintenant le récit abrégé de la vie de saint Maur, dans les Leçons que lui consacre le Bréviaire monastique.
Maur, Romain de naissance, eut pour père Eutychius, de l'ordre des Sénateurs. Encore enfant, il fut offert à Dieu par son père, pour vivre sous la discipline de saint Benoit. Formé à l'école d'un si grand et si habile maître, il atteignit le sublime degré de la perfection monastique avant même les premières années de l'adolescence, en sorte que Benoit lui-même admirait et recommandait ses vertus, ayant coutume de le proposer à l'imitation des autres, comme le modèle de l'observance régulière. Il macérait sa chair par le cilice, par les veilles et par un jeûne continuel, tandis qu'il récréait son esprit par une oraison assidue, par de pieuses larmes et par la lecture des saintes lettres. Durant le carême, il ne mangeait que deux fois la semaine, et en si petite quantité, qu'il semblait plutôt goûter les mets que s'en nourrir. Il se tenait debout pour prendre son sommeil, et, lorsqu'une trop grande fatigue l'y contraignait, il dormait assis. D'autres fois, il reposait sur un monceau de chaux et de sable que recouvrait un cilice. Le temps de son repos était si court, que toujours il faisait précéder l'Office de la nuit par de longues prières, souvent même par l'entière récitation du psautier.
   Il donna l'exemple d'une admirable obéissance, lorsque, par l'ordre du bienheureux Père, courant au lac dans les eaux duquel Placide était en péril, il marcha à pied sec sur les flots; puis, saisissant l'enfant par les cheveux, il retira saine et sauve des eaux cette victime que Dieu réservait pour le tranchant du glaive. Ce furent ces excellentes vertus qui portèrent le bienheureux Père à l'associer à ses sollicitudes, comme déjà il l'avait associé à ses miracles dès son entrée dans la vie monastique. Élevé au degré sacré du Diaconat par le commandement du saint Patriarche, il rendit la parole et l'agilité à un enfant muet et boiteux par le simple attouchement de son étole.
Envoyé dans les Gaules par le même saint Benoit, à peine y était-il arrivé, qu'il eut révélation de l'entrée triomphante de son bienheureux Père dans les cieux. Après bien des sollicitudes et de pénibles travaux, il promulgua la Règle que le saint Législateur lui avait donnée écrite de sa main. Il construisit à Glanfeuil, en Anjou, un célèbre monastère qu'il gouverna durant quarante ans; et la renommée de son nom et de ses actions y brilla d'un tel éclat, que les plus nobles seigneurs de la cour du roi Théodebert volèrent sous ses étendards, pour servir dans une milice plus sainte.
   Deux ans avant sa mort, il abdiqua la conduite du monastère, et se retira dans une cellule proche d'un oratoire de Saint-Martin. Là, il s'exerça aux œuvres de la plus rigoureuse pénitence, et descendit dans l'arène pour combattre l'ennemi du genre humain qui menaçait de faire périr ses moines. Dans cette lutte, il eut pour consolateur un Ange de lumière, qui lui découvrit les ruses de l'esprit de malice, et aussi la volonté divine, et qui l'invita à conquérir la couronne avec ses Disciples. Avant donc envoyé au ciel, comme les avant-coureurs de son triomphe, plus de cent de ces valeureux soldats qu'il devait suivre bientôt lui-même, il se fit porter dans l'oratoire, où, s'étant muni du Sacrement de vie, étendu sur le cilice, semblable à une victime présentée à l'autel, il expira d'une mort précieuse, âgé de plus de soixante-dix ans, ayant propagé merveilleusement dans les Gaules la discipline monastique, et étant devenu célèbre par d'innombrables miracles avant et après sa mort.
   Nous donnons ici un choix d'Antiennes extraites de l'Office Monastique de saint Maur.
   Le bienheureux Maur, illustre par son origine patricienne, estima, dès son enfance, les humiliations du Seigneur Christ un plus grand trésor que toutes les richesses du monde.
   Le Seigneur le revêtit de l'étole sainte des Lévites, par l'attouchement de laquelle il fit marcher les boiteux et parler les muets.
Envoyé en France, il y fit briller la doctrine de la Règle comme l'aurore d'un nouveau soleil, et il la propagea jusqu'en de lointaines contrées.
La solitude du nouveau monastère, embellie par la présence de Florus et des premiers seigneurs du royaume, tressaillait d'allégresse, et fleurissait comme un lis.
Près de mourir, il envoya devant lui dans les cieux les fils qu'il avait engendrés en Jésus-Christ; et, au milieu des prières, laissant son corps au pied des autels, son âme s'envola au ciel. Alleluia.
O très digne disciple du Père Benoît! qu'il a laissé pour héritier de son esprit, afin qu'il fût, dans les Gaules, le premier Apôtre de la sainte Règle, et l'admirable propagateur de l'Ordre Monastique. Alleluia.
O l'heureux homme! qui, méprisant le siècle, porta avec amour le joug de la sainte Règle, et, obéissant jusqu'à la mort, se renonça lui-même pour s'attacher tout entier au Christ! Alleluia.
Aujourd'hui saint Maur, étendu sur le cilice, devant l'autel, a rendu heureusement le dernier soupir. Aujourd'hui le disciple premier-né du bienheureux Benoit, montant avec sécurité par le sentier de la sainte Règle, escorté des chœurs angéliques, est parvenu jusqu'au Christ. Aujourd'hui, l'homme obéissant, chantant ses victoires, a mérité d'être couronné par le Seigneur. Alleluia.

Dom Prosper Guéranger