devotion mariale

1221

SAINT DOMINIQUE CONFIE SON ORDRE À LA VIERGE MARIE

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Dès sa naissance au XIIIe siècle, la famille religieuse fondée en France par saint Dominique (après 1170-1221), ou Ordre des Prêcheurs, témoigne d’un lien particulier avec la Mère de Dieu. À partir du XVe siècle, la prédication du Rosaire donne un nouvel élan marial au monde chrétien. 

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Contre les hérésies. En 1203, l’évêque castillan Diègue d’Osma et son chanoine Dominique découvrent l’ampleur et la gravité des dissidences religieuses qui ont pris racine sur les terres du comte de Toulouse et de ses voisins, dans tout le Sud-Ouest de la France actuelle. À partir de 1206, les deux hommes parcourent la région délimitée par les Pyrénées, au Sud, et les villes d’Albi, de Toulouse et de Montpellier, à l’Ouest et au Nord. L’unité de l’Église est mise à mal dans ces contrées par l’hérésie des « parfaits », appelés ultérieurement et de manière inadéquate « cathares », remettant en cause toutes les grandes croyances de la chrétienté médiévale (unicité de Dieu, hiérarchie de l’Église, sacrements). Les deux Espagnols investissent toutes leurs forces dans une campagne de prédication humble et itinérante. La tâche est rude. En 1208, l’assassinat du légat du pape Pierre de Castelnau sur les rives du Rhône a entraîné la « croisade des Albigeois », conduite par le roi de France et les grands seigneurs, non sans arrière-pensées politiques. Au cœur de ces terres ravagées par l’hérésie et la guerre, sans prendre part à la croisade, Dominique regroupe pourtant à Prouilhe (actuelle commune de Fanjeaux, Aude) des femmes, naguère « parfaites », revenues dans la pleine communion ecclésiale pour y mener une vie de type monastique.   

Des Frères itinérants. En 1217, Dominique de Caleruega décide de disperser la quinzaine de Frères qui l’ont rejoint à Prouilhe (puis à Toulouse) afin d’y mener une vie de prêcheurs itinérants. Après avoir obtenu l’approbation de l’évêque de Toulouse, Foulque, puis les encouragements des papes Innocent III et Honorius III, Dominique offre ainsi à l’Église et à ses pasteurs l’aide de prédicateurs bien formés intellectuellement, assoiffés du Salut des hommes et désireux pour cela de porter l’Évangile à ceux qui ne le connaissent pas, comme de conforter dans leur foi ceux qui faiblissent ou fatiguent. Dominique sait que « les semences dispersées portent du fruit et qu’entassées elles pourrissent », précise la légende de Pierre Ferrand. Pauvres et mendiants, ses fils sont disponibles pour aller là où on les appelle. L’Ordre des Prêcheurs naissant (on parlera ultérieurement de Dominicains) prend donc une dimension internationale en envoyant des Frères à Paris, à Rome puis à Bologne (nord de l’Italie), en Espagne et bientôt jusqu’aux confins du monde habité. La Vierge Marie accompagne les compagnons de Dominique sur les routes et dans leurs prédications. C’est sous le patronage de Notre Dame qu’est placé le monastère de Prouilhe, au pied de la colline de Fanjeaux. Lors du procès de canonisation, un témoin affirme que sur les routes d’Italie, Dominique « toujours joyeux dans les tribulations, louait et bénissait le Seigneur en chantant à haute voix l’Ave maris stella ».   

Une protectrice spéciale.
 C’est grâce à une intervention miraculeuse de la Vierge Marie qu’un ecclésiastique de haut-rang, Réginald d’Orléans (o.p., † 1220), guérit de la maladie qui l’avait frappé alors qu’il hésitait à délaisser sa carrière universitaire pour embrasser une vie de prédication et de pauvreté. L’épisode est rapporté par Jourdain de Saxe, premier successeur de Dominique, dans un Petit livre sur le commencement de l’Ordre. Comme un bon médecin, la Mère du Seigneur vint lui faire des onctions salvatrices de la tête aux pieds en disant : « J’oins tes pieds avec l’huile sainte, pour qu’ils soient prêts à annoncer l’Évangile de paix. » C’est l’invitation de l’apôtre saint Paul dans l’épitre aux Éphésiens (VI, 15). Remis debout, vêtu de l’habit blanc des Prêcheurs, Réginald est envoyé par Dominique à Bologne où il prêche avec grand succès. En 1221, à quelques mois de sa mort, Dominique se voit confier une nouvelle mission par le pape Honorius III. Il doit convaincre les moniales de plusieurs monastères romains de se rassembler dans un couvent jouxtant la basilique Saint-Sixte de Rome (Italie), le long de la via Appia, pour y vivre en suivant la règle établie à Prouilhe. La communauté de Sainte-Marie in Tempulo résiste. Les Sœurs refusent de s’établir ailleurs si elles ne peuvent emporter avec elle l’image de la bienheureuse Vierge qu’elles vénèrent. Dominique y consent : il comprend et partage cet attachement des Sœurs. Celles-ci déménagent le 28 février 1221 et l’image de la Vierge est apportée à Saint-Sixte la nuit qui suit leur entrée dans leur nouvelle clôture. On craint en effet les réactions de Romains réticents devant cette translation. Mais la discrétion du transfert n’exclut pas la ferveur et la confiance en Marie. Une moniale, témoin de l’épisode, raconte que « le bienheureux Dominique, accompagné de deux cardinaux : le seigneur Nicolas et le seigneur Étienne, dont il avait ressuscité le neveu, et d’une foule considérable, tous pieds nus, escortés de nombreux porteurs de torches, la portait sur ses épaules à l’église de Saint-Sixte. Les sœurs, pieds nus, l’attendaient en prière ».   

Marie, avocate. Sœur Cécile, moniale romaine de Saint-Sixte et contemporaine de Dominique, relate encore une vision de l’homme de Dieu qui confirme la protection spéciale de la Vierge Marie sur l’Ordre des Prêcheurs. Une nuit, après avoir prié longuement dans l’église déserte, il se rend à l’extrémité du dortoir des Frères pour continuer son oraison. Trois dames s’approchent. La plus belle et la plus digne porte un vase de prix. Une de ses compagnes lui tend un aspersoir avec lequel elle bénit chacun des Frères endormis en traçant sur lui le signe de la croix. Prosterné devant elle, Dominique lui demande son nom : « Je suis celle que chaque soir vous invoquez, et lorsque vous dites : Eia ergo, advocata nostra (NDLR : « Ô vous, notre Avocate », paroles du Salve Regina), je me prosterne devant mon Fils pour la conservation de cet ordre », répond la Vierge. Très tôt, le chant du Salve Regina marque la fin de la journée des Dominicains.   

La Mère des Prêcheurs. Revenu à sa prière, poursuit sœur Cécile, Dominique est ravi en esprit devant Dieu. La Vierge Marie est assise à sa droite, vêtue d’une chape de couleur saphir. Des religieux de tous les ordres contemplent le Seigneur et sa Mère mais on n’y voit pas de Prêcheurs. Dominique pleure amèrement. Marie et son Fils l’appellent et lui demandent les raisons de sa tristesse. « Veux-tu voir ton ordre ? », lui demande Jésus. « Oui, Seigneur », répond Dominique en tremblant. Et, raconte la moniale, « le Seigneur mettant la main sur l’épaule de la bienheureuse Vierge, dit au bienheureux Dominique : j’ai confié ton ordre à ma mère. » La Vierge ouvre alors la chape qui la couvrait, si vaste « qu’elle semblait couvrir toute la patrie céleste » et, abritée dans les plis de ce manteau, Dominique voit une grande multitude de Frères. « La bienheureuse Vierge Marie fut l’aide principale dans la fondation de l’Ordre, et l’on espère qu’elle le conduira à bon port », écrit Humbert de Romans, quatrième successeur de saint Dominique. La Mère du Verbe est aussi la Mère des Prêcheurs.   

Et la prière du Rosaire ? Le mot rappelle une guirlande de roses dont on couronne la Vierge Marie. Ces fleurs sont en réalité chacune des prières que le croyant récite pour méditer les mystères de la vie du Christ en unissant sa prière à celle de sa Mère. Depuis l’époque moderne jusqu’à nos jours, d’innombrables images représentent la Vierge donnant un chapelet à saint Dominique avec mission pour lui de le répandre à profusion. 
Déjà au XIIIe siècle, des Frères répétaient des Je Vous Salue Marie, généralement par multiple de dix, en accompagnant cette salutation d’inclinations, de génuflexions, de prostrations. Le bienheureux Romée de Livia (o.p., † 1261), qui avait connu personnellement saint Dominique, fut enterré, d’après le témoignage de Bernard Gui (o.p., 1261-1331), tenant à la main la cordelette à nœuds qui lui servait à compter les 1000 Ave Maria dont il saluait chaque jour la Vierge. Au XVe siècle, un Dominicain enthousiaste et inventif, Alain de la Roche (vers 1428-1475), met définitivement en forme le Rosaire. Il a l’idée de faire de la récitation du psautier de la Vierge, composé de 150 Ave entrecoupés de Pater, l’obligation principale de la Confrérie de la Vierge et de saint Dominique qu’il fonde à Douai (actuel département du Nord) en 1470. Le succès est immédiat et, depuis lors, rosaire, chapelet, dizainier accompagnent la vie des chrétiens. La méditation des mystères joyeux, douloureux, glorieux de la vie du Seigneur et de sa Mère permet de lire l’Évangile avec les yeux de Marie. En 1571, c’est à l’intercession de Notre Dame du Rosaire que le pape dominicain saint Pie V attribue la victoire remportée le 7 octobre à Lépante (Grèce) par les princes chrétiens opposés aux Turcs ottomans. Le 16 octobre 2002, par sa lettre apostolique Rosarium Virginis Mariae, saint Jean-Paul II enrichit le cycle des mystères en instituant des mystères lumineux.  

Petite biographie de saint Dominique. 
Dominique naît vers 1174 à Caleruega, en Castille (Espagne), non loin de la grande abbaye bénédictine de Silos. La tradition espagnole fournit les noms de ses parents, Jeanne et Félix, et les présente comme les descendants de deux nobles familles, les Aza et les Guzmán. Ce sont en tout cas des personnages importants. Une légende rapporte que Jeanne, enceinte, eut un songe. Dieu lui montra le fils qui devait naître d’elle sous la forme d’un chien blanc et noir tenant dans sa gueule un brandon enflammé avec lequel il se disposait à parcourir le monde. Elle comprit que son fils serait un présent du Ciel, éclairant et réchauffant la terre par son zèle apostolique. 
D’abord éduqué par un oncle prêtre, Dominique est envoyé à Palencia (Castille-et-León) où il étudie longuement les arts puis la théologie. Il vend ses livres pour subvenir aux besoins des victimes d’une famine locale : « Je ne veux pas étudier sur des peaux mortes, tandis que des hommes meurent de faim », déclare-t-il. Peu après, vers 1198, après avoir été ordonné prêtre, il intègre le chapitre des chanoines réguliers d’Osma. 
À la fin de l’année 1203, l’évêque Diègue se rend dans le Nord de l’Europe pour négocier le mariage du fils du roi de Castille. Dominique l’accompagne. En franchissant les Pyrénées, les deux hommes découvrent l’ampleur de l’hérésie des Albigeois qui s’étend alors dans le Midi de la France. En 1206, au terme d’un deuxième voyage dans la région, Diègue et Dominique rencontrent à Montpellier les légats envoyés par le Pape pour convertir les hérétiques du Midi. Diègue leur conseille d’aller à pied, sans or ni argent, en « hommes évangéliques », pour ruiner l’anticléricalisme populaire. Donnant l’exemple, il renvoie à Osma ses bagages et ses compagnons. Avec Dominique et deux des légats, il se met alors en route pour prêcher contre l’hérésie. Cet acte est le point de départ d’une mission pauvre et itinérante dont Dominique devient bientôt le responsable. Convaincues par la vie du chanoine castillan comme par la parole évangélique, des femmes abandonnent l’hérésie et se groupent en 1206/1207 à Prouilhe, au pied de la colline de Fanjeaux, pour y mener une vie de type monastique. Dominique, continue à pratiquer l’itinérance dans cette région durement frappée par la guerre et les conflits. Il se fait tout à tous. 
Dans les premiers mois de l’année 1215, deux Toulousains se remettent entre ses mains et deviennent ses compagnons de mission. L’un d’entre eux, le Frère Pierre Seilhan, lui offre sa maison toulousaine. Dominique s’y installe au printemps avec six compagnons. Ils suivent les cours de théologie qu’un maître donne alors dans la ville. Vers mai 1215, l’évêque Foulque donne à perpétuité au groupe de Dominique le statut de prêcheurs diocésains mais il ne s’agit là que d’une étape. À l’automne 1215, Dominique accompagne le prélat à Rome, au quatrième concile du Latran. C’est alors, peut-être, qu’il rencontre François d’Assise. Les papes Innocent III puis Honorius III vont prendre la mission sous leur protection et lui donner progressivement son statut d’ordre religieux. Dominique et les siens adoptent la règle de saint Augustin, organisent la vie de leur communauté et, de manière originale, se condamnent à une vie de dépendance (la « mendicité ») pour être totalement disponibles à la mission de prédication de l’Évangile, sans souci de gérer des biens temporels. 
Le 15 août 1217, Dominique disperse le petit groupe des Frères qui l’ont rejoint. « Il savait que le bon grain porte du fruit quand on le dissémine et pourrit s’il demeure en tas », précise une légende. Des Frères partent pour Paris, d’autres pour l’Espagne, d’autres enfin accompagnent le fondateur en Italie. Couvents, monastères et missions se multiplient. Le premier chapitre général de l’Ordre est célébré à Bologne en 20 mai 1220 sous la direction de Dominique. Les Frères lui demandent de poursuivre sa charge de maître de l’Ordre, c’est le nom du supérieur général des Prêcheurs. Un an plus tard, le second chapitre général entreprend la répartition des couvents en provinces, placées sous l’autorité d’un prieur élu. 
Dominique, épuisé, meurt à Bologne le 6 août 1221. Une enquête officielle concernant sa sainteté s’ouvre durant l’été 1234 dans les diocèses de Bologne et de Toulouse. Au terme du procès, Dominique est canonisé le 3 juillet 1234 par le pape Grégoire IX, qui l’avait bien connu. Dans le calendrier liturgique mis en place après Vatican II, il est fêté le 8 août.   

L’Ordre des Prêcheurs aujourd’hui.
 
L’Ordre des Prêcheurs compte aujourd’hui 3 000 moniales et 6 000 Frères (dont 1 000 Frères en formation) répartis en une quarantaine de provinces. Il regroupe aussi 25 000 religieuses apostoliques, 150 000 fidèles membres de fraternités laïques et plusieurs centaines de prêtres diocésains, membres de fraternités sacerdotales. Tout au long de son histoire, les Dominicains ont fourni de grands saints à l’Église, notamment saint Thomas d’Aquin, sainte Catherine de Sienne et saint Martin de Porrès. Leur vocation étant de prêcher l’Évangile, leurs couvents sont souvent situés dans de grandes villes et des centres d’étude. Du mois de novembres 2015 au mois de janvier 2017, des célébrations ont marqué dans le monde entier le huitième centenaire de la naissance de l’Ordre des Prêcheurs.  

Source - Marie de Nazareth - Augustin Laffay O.P.Dominicain - historien

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